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À l’aune des nouvelles prises de conscience et sensibilités écologiques, il convient de se confronter à un grand changement historique qui acte les limites des ressources naturelles.
Le fonctionnement d’une société fondée sur la seule idée de croissance et d'accumulation des richesses s’effondre face aux limites de la terre. C’est le résultat d’une époque qui n’a pas imaginé les conséquences de ce qui l'occupe aujourd’hui, un “bien-être” par la consommation. Il faut repenser une méthode de travail soutenable, une bifurcation de la rentabilité, replacer l’homme au centre du projet. Une nouvelle qualité de vie doit générer une relation plus douce et fructueuse entre milieu et artefact, actuellement abîmée par la dispersion ou la redondance d’innovations techniques et expressives en nombre, issues du post-modernisme. Au début du siècle, le mouvement moderne avait relevé le défi de la production industrielle au nom d'une "démocratie de consommation", en développant une esthétique de l'objet sériel et son minimum rationalisé selon les fonctions prédéfinies.
Il s'agit d'accepter le défi écologique en articulant le projet au milieu technique, culturel et naturel. La forme doit suivre le milieu et pas la fonction. Nos actes quotidiens et notre domesticité constituent à la fois le socle de notre patrimoine et le levier de ces changements.
Viser : La ville à 15 min à pied
Développer une ville à 15 minutes à pied revient à contribuer à faire des centres historiques des lieux hybrides, hors des logiques de gentrification, à ce que les espaces pavillonnaires développent des démarches spatiales d’échanges et de partage, en favorisant les circuits courts d'approvisionnement.
Crise de la mobilité, développement du télétravail et de l’auto-entreprenariat : les questionnements sur la privation de l’espace public conduisent à une demande croissante de reconfigurations. L’environnement se construit sur des métastases ; ainsi retrouvons-nous peu ou prou partout les mêmes approches pour répondre entre autres à la loi Pasqua de 1998, laquelle doit permettre à tout citoyen de se trouver à moins de quarante-cinq minutes d’une entrée ou d’une sortie d’autoroute, engendrant des itinéraires de contournement des villes, des enfilades de ronds-points, des recouvrements d’échangeurs, bretelles et rocades diverses.
Repenser un ensemble en sortant des cadres idéologiques déjà éprouvés s’avère nécessaire. L'urbanisme, par "zonage" et, plus généralement, tous les instruments avec lesquels la culture architecturale a traité l'intervention urbaine s’appuyaient jusqu’alors sur l'hypothèse de la création de vastes zones homogènes, rationalisant l’urbanisme. Récemment encore, des signes de tensions entre nouveaux quartiers péri-urbains, centre historique et les rajouts de l'urbanisme moderne mettent en crise les connotations "froides" des zones planifiées, l’isolation des zones pavillonnaires, ou encore la gentrification du centre ville historique. La ville historique joue le rôle de spectacle-luxe-boutique bobo, un temple de la consommation où se montrer. Les tentatives de construction de ville moderne deviennent des zones de tension et de ghettoïsation. Les zones pavillonnaire s’étendent pour donner le rêve de l’entre-soi. Selon une vision américaine «no parking, no business», les hypermarchés s’installent avec leurs tapis de voiture, tandis qu’Amazon, sous couvert d’éviter la foule des hypermarchés et leurs immenses parkings, favorise l’entre soi au détriment de son empreinte carbone et de son plan de mitigation. La crise de la mobilité, étincelle du mouvement de contestation des gilets jaunes, commence ici : la possibilité financière d’acquérir une maison péri-urbaine ne prend pas en compte le coût élévé des déplacments pour le travail, les activités para-scolaires, etc. Par ailleurs, la transformation de l'emploi se confronte au learning machine et certains métiers se retrouvent menacés par l’arrivée accrue du numérique dans l'organisation des entreprises.
L’ensemble provoque un sentiment d'enfermement entre quatre murs et un jardin ou de dépassement dans certaines situations anxiogènes.
La ville à 15 min à pied s’appuie sur cette reconfiguration de l'espace pour encourager les formes directes et piétonnes d’approvisionnements en faveur de la biodiversité. Cette impulsion d’un travail commun autour de l’habitat recouvre un enjeu de taille, à l’heure de la réduction des activités économiques, en développant des activités économiques nouvelles et complémentaires.
Bâtir le A-genre
Réversibilité, évolution, modulaire : la principale qualité que devrait avoir une ville hospitalière réside dans les espaces évolutifs, modifiables, incluant dès leur dessin la maintenance et la transformation, dans la perspective de se doter d’un bâtiment à usage multiple.
Le télétravail et la génération Y se développent, l’emploi se transforme, le logement est en crise, dissocié de son cadre de vie collectif : autrement dit, le bureau est mort. L'évolution de la ville bute face à l'impossibilité de résoudre la complexité dans un modèle unitaire hérité de l’époque moderne, notamment de créer des liens entre les lieux fragmentés que sont les zones pavillonnaires et les quartiers historiques, les zones de travail. La principale qualité que devrait avoir une ville hospitalière réside dans le caractère faible, incomplet et non envahissant des projets d’espaces, par exemple avec des systèmes partiels, lesquels se positionneraient en éléments techniques dans un milieu donné, pouvant être réparés, modifiés, incluant dès leur dessin la maintenance et la transformation, dans la perspective de se doter d’un bâtiment à usage multiple.
L'objectif est d'identifier des modèles de manière de faire, des hybridations des typologies, des logiques urbaines, qui permettent de gérer l’évolution de l’espace, de s’appuyer sur les énergies et les cultures des résidents et usagers, et sur le potentiel des territoires. Imaginer des bâtiments transgenre signifie reconfigurer l’ensemble à partir de systèmes spaciaux ouverts à l’imprévu : il s’agit d’oeuvrer à l’assemblage de deux familles, celle de logement et celle du bureau, dans une topologie faible, donc appropriable et transformable. L’identification des espaces relationnels correspondant aux modes d'utilisation des structures construites dans la société historique, moderne et postmoderne, celle qui a entraîné la chute d'identité des lieux et les transforme certaines fois en des paysages de désolation, est essentielle, car la vie peut y prendre forme, si tant est que la dynamique y soit accompagnée, au sein d’un espace qui puise sa qualité et son identité dans des microsystèmes, des relations, des signes qui font corps avec la culture locale partagée.
Cadrage et espace commun, outil de densification positive
Aujourd'hui, densifier inclut de nouvelles organisations, différents rapports au voisinage, des espaces intérieurs augmentés de terrasses plus ou moins imbriquées suivant les programmes pour multiplier les possibilités : voir une vidéo projetée, faire du sport sur sa terrasse, etc.
Le mot cadre, du latin quadrus (carré), est le terme employé en peinture comme en architecture pour désigner un objet constitué d’éléments pouvant être réalisés à partir de différents matériaux assemblés (bois, pierre, marbre, etc.) et qui forment une bordure entourant un tableau, une porte ou une fenêtre. Le cadre en architecture a comme objectif de fixer des éléments de transition entre l’intérieur et l’extérieur. Cette transition se rapproche de la définition du cadre en peinture, en délimitant et en matérialisant l'espace. En marquant la limite, le cadre convertit le vide en chose. Historiquement, les fenêtres affirment un statut social par l’ornementation qui l'entoure, par la grandeur de son vitrage. Le cadre, comme jeu photographique sur le paysage, a été développé par Le Corbusier mais a pris une forme différente dans le cadre du péri-urbain : le logement pavillonnaire ne cherche pas de lien avec le jardin de son voisin, mais plutôt à créer de l’intimité.
Paysages, jardins, terrasses, balcons, activités diverses, logements transgenres restructurent le lien entre intérieur et extérieur, à la façade, aux cadrages augmentés, qui développent un rapport actif entre eux. Ainsi, les idées de frange, à l’égard du centre ville, d’abord associées au faubourg, puis au périurbain, pourraient, grâce aux enjeux du cadrage, soutenir l’idée de densification positive. Il s’agit d’organiser une vie sur des lieux en bordure, à la lisière de la ville visible ou d’une vie visible qui se construit par l’imaginaire, de ne pas s’y sentir en “frontière” mais bien sur un lieu où proximité du visible côtoie le cocon d’une vie familiale sur un jardin intérieur, une ouverture. C’est une façon de se rapporter à une construction d’un existant qui s’essaie à une densification à l’échelle de la cellule familiale, à l’échelle de la mesure des femmes, des hommes et des enfants qui occupent l’espace.
Paysage, jardin et façades tempérées
Pour des raisons climatiques, les bâtiments se doivent d'étoffer leurs relations avec des espaces végétalisés, à la faveur d’une meilleure circulation de l'air, d’une zone de tampon de fraîcheur entre les voiries et le développement de la biodiversité. La façade propose ce changement en passant par une végétalisation et un brise soleil.
Le paysage fait partie intégrante du travail de conception : il joue un rôle essentiel dans le développement et le positionnement du bâti, que cela soit par le jeu du cadrage à travers les ouvertures vers l’intérieur ou par le lien avec l'environnement thermique. Le jardin convoque l’imaginaire d’une nature circonscrite par des murs ou une clôture, développant l’idée de micro espace qui, dès ses origines, ferait côtoyer végétation et architecture la structurant, tandis qu’une véritable complicité peut s’établir entre les deux.
Semi-ombragée, la façade offre ainsi la possibilité de conserver de la fraîcheur tout en gardant un ensoleillement. Poser, implanter, intégrer, laisser libres le paysage et la biodiversité, la façade joue d’un lien dedans-dehors pour travailler simultanément avec un tissu économique, un tissu social et un tissu sociétal. Intégrée - autrement que par la norme et la réglementation -, la notion de “tempéré” affiche son action à l’égard des enjeux de la biodiversité et des représentations sociales vis-à-vis de la ville.
Dé-projet
Ne pas toujours démolir, détruire et refaire, mais savoir analyser pour conserver, adapter, réduire, optimiser les volumes, en utilisant la matière déjà sur place, en développant les savoir-faire locaux et en soutenant l’emploi de proximité, c’est aussi pérenniser les investissements publics et s’ancrer dans une réelle démarche écologique. L'honnêteté de la matière doit aller en amont de la question des déchets par le biais d’une valorisation des matériaux naturels et des savoir-faire locaux culturellement identifiables.
" Construire signifie accumuler chose sur chose, marquer pour le meilleur ou pour le pire toujours plus la surface du globe : à force d’ajouter, d’augmenter, d’entasser, on en arrive, depuis déjà un moment, à ne plus construire une maison dans un pré ou à côté d’une autre maison : mais sur, sous, dedans, à la place de celle-ci. Destin inéluctable de la croûte terrestre, qui, petit à petit, se remplit : centrales électriques, pylônes, fils, aéroports, métros, réseaux routiers, ferroviaires, implantations industrielles, digues, mines, usines, raffineries, ensembles de bâtiments, circuits de service et d’information forment le mécanisme redondant nécessaire à la vie. La nouvelle nature de la planète, ce sont les millions de projets, c’est l’anti-nature. [...] Il faut introduire la notion négative de dé-projet. Le dé-projet c’est le projet conçu à l’envers : au lieu d’augmenter la quantité d’informations et de matières, le dé-projet l’enlève, la réduit, la minimise, la simplifie, il rationalise les mécanismes enrayés. Le dé-projet est une création décongestionnante, qui n’a pas comme objectif la forme architecturale."
C’est une démarche qui s’arrange de l’existant, qui s'approprie le lieu en faisant à partir de lui. C’est affirmer les volumes, tenir compte du contexte passé et imaginer le futur, pour que l’ensemble puisse évoluer. Augmenter la lisibilité des informations à destination des usagers passe par leur accessibilité aux éléments qui peuvent être modifiés, transformés dans le temps.
L’outil en commun
Connaître et donner à connaître pour pouvoir interagir sur une économie à sa propre échelle, c'est accepter de ne pas faire de formes figées. Jouer le jeu de la transmission d’information de la matière et des Standards Ouverts, c'est ce que propose le travail d’Ultra Ordinaire. L'Indice de réparabilité implique de redessiner un ensemble d’éléments pour créer des artefacts, des éléments d’architecture paramétrables et modulables. Ils sont le fruit d’un travail entre artisanat local et production numérique afin de permettre aux usagers de modifier, de transformer et de réparer le cas échéant cette gamme d'éléments. Ils maillent le partage des dessins, les chantiers communs, au travers des manufactures distribuées.
Aujourd'hui, les matériaux recouvrent une dimension évanescente ; ils ont souvent des caractéristiques insaisissables, brisant les synesthésies avec lesquelles les sujets étaient habitués à juger les produits de la nature. Les faux bois, les cristaux liquides, les films très résistants ne sont plus lisibles sans ambiguïté, leurs distinctions sont tombées en dessous de notre seuil de reconnaissance phénoménologique, ils dépendent de leur structure physique et atomique, que seul un chimiste ou un expérimentateur peut reconnaître à l’aide de tests. Nous n'avons plus d'interprétations universelles pour le monde des matériaux. Ils ont perdu cet ensemble de propriétés stables qui nous permettaient autrefois non seulement de les distinguer et de les utiliser correctement, mais aussi de les intérioriser et de les assumer comme une valeur culturelle. La matière a d’ailleurs tant perdu son identité que la question de l’usage des déchets est devenue un élément central ainsi que la question du réemploi. Si une planche de bois massif détient une matérialité et un usage technique permettant éventuellement à l'utilisateur son réemploi, un bois liquide injecté ne dispose pas de cette opportunité. L'honnêteté de la matière doit aller en amont de la question des déchets par le biais d’une valorisation des matériaux naturels et des savoir-faire locaux culturellement identifiables. Il s’agit d’ouvrir des perspectives donnant des valeurs matérielles nouvelles et culturellement reconnaissables, et de construire des projets frugaux, répondant aux désirs et attentes de la société civile. La première étape de l’usage d’un matériau part de la recherche d'un territoire expressif et d'un imaginaire dans lequel il peut être placé. L'étape suivante est la définition d’un territoire que le matériau peut occuper sur le plan fonctionnel, préfigurant les différentes formes d'application pouvant permettre de comprendre immédiatement et culturellement son évolution et sa pérennité ou son réemploi, souvent un “déjà vu” formel.